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Voyage à Jyamire

par Samuel Granier

Il est encore possible de participer financièrement à la reconstruction de la Maison des Rêves.

Un repère : le salaire mensuel moyen du Népal est de 100 euros.
Faites-nous parvenir vos dons à l’adresse suivante :
REGARD’ISARD
Solidarité Népal
3 rue Montségur
31280 DREMIL-LAFAGE
(chèque à l’ordre de regard’isard)

Voyage à Jyamire

Katmandou, décembre 2015. Le terrible tremblement de terre du printemps dernier a endommagé la ville. Les stigmates sont partout visibles, telles des plaies ouvertes laissées sans soins. Des fissures, parfois béantes, lézardent les murs de nombreux immeubles tandis que dans les bas-quartiers, des tas de gravats s’amoncellent au milieu des abris précaires, bricolés à la hâte avec des tôles ondulées et des bâches plastiques. Du provisoire qui risque hélas de durer. La ville est comme groggy mais, opiniâtre et sans se départir de cette profonde bonté népalaise, elle s’agite envers et contre tout, se démenant du matin au soir malgré les ruines, malgré la désertion des touristes, malgré surtout l’insidieux blocus sur le gaz et les carburants exercé par l’Etat indien qui paralyse non seulement la ville mais le pays tout entier.

Ce voyage, c’est une idée de Chantal et Laurent, deux passionnés de longue date du Népal. Une idée qui germa dans leur tête lorsque leur parvinrent les images des dévastations et alors que resurgissait le souvenir du formidable accueil aussi spontané que chaleureux que leur réserva Azita dans sa « maison des rêves » de Jyamire lors de leur précédent voyage en 2012. « Dreams House » s’était effondrée provoquant la mort du vénéré grand-père. Bouleversés, ils décidèrent que la meilleure façon de témoigner leur solidarité, c’était de retourner à Jyamire avec, en poche, une coquette somme d’argent collecté auprès de généreux donateurs français. Point n’était nécessaire d’intermédiaires, point de frais annexes, de ponctions plus ou moins abusives pour ceci ou pour cela, trop de polémiques avaient déjà éclaté autour de la gestion des dons octroyés à tel organisme ou telle ONG. L’intégralité de la somme, au centime près, devait servir à la reconstruction de « la maison des rêves ». Azita est aujourd’hui étudiante à Katmandou. C’est une jeune femme souriante et dynamique qui nous attend dans le hall de notre hôtel de Thamel. Elle s’est démenée toute la matinée, pendue à son portable, pour nous dégoter un véhicule 4×4 capable de nous conduire à Jyamire. Avec le blocus indien, le carburant a atteint des sommets. Elle ne décolère pas contre le prix exorbitant de la course. Autre conséquence du blocus, les facultés sont fermées jusqu’à nouvel ordre. Elle peut donc nous accompagner à Jyamire et cela bien sûr, pour notre plus grand plaisir.

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Azita Khadka

La route est défoncée, le 4×4 zigzague sans cesse pour tenter d’éviter les nids de poule. Ces coups de volant aussi brusques qu’inutiles ne contribuent finalement qu’à nous secouer comme des pruniers. Sur les bas-côtés de la chaussée, à l’approche des stations de carburant, des files interminables de véhicules s’allongent patiemment dans l’hypothétique espoir d’obtenir quelques litres du précieux liquide. De vieux bus pleins à craquer d’une foule bigarrée, le toit débordant d’hommes assez lestes pour se hisser là-haut et les flancs couverts de grappes de jeune gens prompts à s’agripper comme des chauves souris, se trainent à deux à l’heure dégageant de grands panaches de fumée noire comme du charbon. Avec ça, des flopées de motos, frêles machines pétaradantes et klaxonnantes, trois ou quatre personnes dessus plus des gamins assis à califourchon sur le réservoir, se faufilent avec une agilité déconcertante au milieu de cette cohue. On a du mal à imaginer ce que seraient les conditions de circulation si les véhicules en panne sèche le long des routes étaient de la partie. Finalement même à une allure d’escargot imposée par le flux chaotique de la circulation, on sort assez vite de l’agglomération de Katmandou. Ensuite, la campagne est magnifique. Partout les rizières sont entretenues avec minuties, proprement étagées. Les maisons s’éparpillent sur les collines non loin de majestueux banians au feuillage sombre qui tranche avec le vert lumineux des longues feuilles des bananiers. Les pentes abruptes se couvrent de forêts luxuriantes d’où émergent les cimes éclatantes des grands arbres.

« Tout ce qu’on a pu arracher

aux ruines est là. »

A Mélamchi, nous quittons la « grande » route pour nous élever sur une piste étroite qui serpente sur le flanc de la montagne. Jyamire se situe à l’aplomb de l’Indrawati Khola, 500 mètres au dessus. A notre arrivée, « Mam », la mère d’Azita et sa tante (celle que l’on surnommera sans tarder Miss Smile en raison de son sourire permanent) s’affairent autour de l’aire de battage assénant de grands coups de fléau sur le millet qui recouvre le sol. A leur façon un peu fébrile de se servir de l’instrument, à ces regards furtifs lancés dans notre direction, à cette indifférence feinte, on peut deviner la confusion, l’embarras, la tension nerveuse que ces dames ont pu accumuler au fur et à mesure que notre venue devenait imminente. Pensez donc ! Quel évènement ! Ces étrangers du bout du monde qui viennent dans ce coin perdu de Jyamire apporter leur aide à deux pauvres paysannes. Comment est-ce possible Grand Krishna ? En contrebas de l’aire de battage, un pauvre habitat de tôle a été construit sur un petit recoin de terre, trois pièces accolées où s’entassent des lits, des meubles sommaires, mais aussi des malles, de grands sacs, des piles de linge… Tout ce que l’on a pu arracher aux ruines de Dreams House est là. Des affiches déchirées des hautes montagnes népalaises, des portraits de famille aux cadres abimés, aux verres brisés, les bribes d’une histoire familiale sont ainsi accrochées pêle-mêle aux murs côtoyant les objets les plus divers.

Nous posons nos bagages dans la première pièce déjà très encombrée où deux lits ont été débarrassés de tout un attirail. A l’arrière de notre dortoir, une baraque indépendante sert de cuisine. On a, là aussi, entassé tous les ustensiles que l’on a pu récupérer. Ainsi, un coin de la pièce est occupé par la gazinière de l’ancienne maison que malheureusement la pénurie de gaz rend inutilisable. La cuisine est donc préparée sur un four traditionnel en argile, construit à même la terre battue. En l’absence de conduit d’évacuation, la fumée se répand dans la pièce et s’échappe par où elle peut, le plus souvent après y avoir stagné un long moment. Mam nous sert un copieux dal bhat avec des blettes. Nous dévorons notre plat assis en cercle au milieu de la pièce. Ces dames profitent de cette intimité et de notre ignorance du népali pour accabler Azita de questions. Manifestement, elles demeurent toujours aussi interloquées par la venue de ces trois « Providences ». La chose qui préoccupe le plus Mam, d’après les dires d’Azita, est de savoir ce qu’elles peuvent bien nous offrir en échange de notre aide parce qu’elles sont entièrement démunies et qu’elles n’ont hélas absolument rien à nous offrir. Miss Smile, une louche à la main, veille sur nos assiettes. De temps à autre une tête apparait dans l’échancrure de la porte, visages d’enfant ou d’adulte que la curiosité pousse à tant d’hardiesse.

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Nous avons atteint l’objectif primordial que nous nous étions fixé : venir jusqu’à Jyamire, venir témoigner notre solidarité après les grands ravages du printemps dernier et plus prosaïquement venir apporter notre contribution financière pour la reconstruction de « la maison des rêves ». Notre intention initiale était d’acheter à Katmandou le maximum de matériaux de construction et de les faire acheminer jusqu’ici. Le prix exorbitant des carburants ne nous permet plus de procéder de la sorte. Les fonds seront finalement déposés sur un compte bancaire dont Azita sera titulaire. La jeune femme, qui ne s’en laisse pas conter, saura gérer cet argent pour le mieux, nous en sommes convaincus. Au demeurant, chacun pourra suivre l’avancement des travaux sur les photos qu’elle nous fera parvenir et qui seront régulièrement mises en ligne sur le site web de regard’isard. Pour l’heure, les décombres de « Dreams House » ont été déblayés, les matériaux récupérables, pierres, dalles, bois d’œuvre, mis de côté. De la maison, il ne reste plus rien, à l’emplacement, n’apparait qu’un sol à nu colonisé par les mauvaises herbes.

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Jyamire et tous les villages alentour ont considérablement souffert, où que l’on regarde, le spectacle est à la désolation. Les maisons et les édifices sont à terre. Certains, parmi les plus chanceux, ont pu réaménager le rez-de-chaussée de leur demeure après avoir arasé l’étage et posé une couverture de tôle. Les autres vivent sous des tentes ou dans des baraquements de bric et de broc construits avec ce qu’ils avaient sous la main. Dans la région, on peut estimer que quatre-vingt-quinze pour cent des habitations ont subi des dégâts importants. De nombreuses personnes ont succombé sous les décombres. Parfois au détour d’un chemin, devant l’un de ces habitats de fortune, une femme, interrompant son labeur, nous offre avec insistance et infinie bonté qui un fruit de son verger ou un légume de son jardin. La conversation est des plus superficielles et se limite aux quelques mots népali que nous connaissons pour désigner ceci ou cela. Notre échange passe plus aisément par des sourires, des gestes, des mimiques, en dénombrant avec les doigts… Ainsi, après nous avoir commenté son quotidien, la mine réjouie devant l’exubérance de son potager, son regard se pose immanquablement sur un tas de gravats ou un pan de mur encore debout, la voix se fait sanglotante, une larme vite essuyée coule sur son visage, elle nous conte un drame, son drame, des paroles dont on ne comprend pas le sens mais dont on ressent l’extrême tristesse.

Alain Pozo, janvier 2016

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