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Népal, début des travaux

par Samuel Granier

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DECEMBRE 2016 : Premiers coups de pelles pour reconstruire la Maison des Rêves. Notre reporter Alain Pozo était sur place. Texte et photos : Alain Pozo.

Un an après notre séjour de 2015, presque jour pour jour, je suis de retour à Jyamire. Chantal et Laurent, pris par leur travail, ne sont pas, cette fois, du voyage. C’est finalement avec Michel que je m’apprête à aller rendre visite à la famille Khadka. Un véhicule 4×4 nous attend devant notre hôtel de Thamel. Cette année, il n’est point nécessaire de se démener pour dégoter un taxi susceptible de nous conduire sur les pistes défoncées de l’Helambu. Le blocus sur les carburants a été levé il y a quelques mois déjà et tout ce que le pays compte de véhicules à moteur et surtout d’épaves branlantes s’est jeté sur les routes. La vallée de Katmandou baigne ainsi du matin au soir dans une épaisse nappe de pollution doublée d’un vacarme de tous les enfers. Sur les artères de la ville, c’est le grand chaos, l’embouteillage monstre, des véhicules en tout sens, gros et petits, rutilants et déglingués, tentent coute que coute de gagner quelques mètres de chaussée ou, en désespoir de cause devant la paralysie, se hasardent sur les terrepleins ou les bas-côtés. Notre jeune chauffeur, aussi incroyable que cela puisse paraître, demeure au milieu de la cohue d’un calme olympien, il ne cède nullement à la nervosité ambiante, ne tente aucune manœuvre scabreuse pour se faufiler convulsivement dans la mêlée et chose absolument étrange pour un chauffeur népalais, il ignore royalement l’usage du klaxon.

Finalement, à pas d’escargot, nous parvenons tout de même à nous extraire des bouchons tentaculaires de la ville pour rejoindre Azita qui nous attend patiemment à l’entrée de Bhaktapur. La jeune fille est ravie, elle vient de prendre connaissance à l’instant même des résultats de ses examens obtenus haut la main, avec mention. C’est cette mention surtout qui la remplit de joie, elle lui ouvre les portes de l’Australie (1), seul pays susceptible accueillir des étudiants népalais (étudiants triés toutefois sur le volet). Soixante dix kilomètres environ séparent Katmandou de Jyamire, le voyage va cependant durer des heures, quatre longues heures de secousses, de ballottements, d’à-coups, de bonds, de soubresauts, et j’en passe… Je ne crois pas avoir tout à fait convaincu Azita quand, au cours de la conversation, je lui affirme qu’en France pour parcourir une telle distance, il faut tout au plus une heure. Difficile d’imaginer pour elle qui n’a jamais quitté son cher Népal qu’une route puisse ressembler à autre chose qu’un champ de bataille. L’axe qui remonte la vallée de l’Indravati jusqu’à Melamchi est particulièrement défoncé. Un trafic intense de camions s’y déploie constamment. Des camions chargés jusqu’à la gueule de sable ou de gravier puisés dans le fleuve. (1) Pour d’obscures raisons administratives, notre projet de faire venir Azita en France pour le mois de septembre 2016 a échoué.

Avec les reconstructions qui fleurissent un peu partout, les besoins sont immenses d’autant que les autorités obligent à bâtir en béton armé pour répondre aux impératifs antisismiques. De longues files de Tata aux carrosseries fantasques, s’étirent, se croisent, se frôlent, creusent chaque jour un peu plus profondes les ornières mais parviennent toujours à destination approvisionnant Katmandou et la région en agrégat pour le béton. Aussi sur les rives de l’Indravati les carrières se sont multipliées. Chaque vaste banc de galet ou de sable qui jalonnent le fleuve a son installation industrielle flambante neuve, analogue à celles que l’on peut voir chez nous avec son concasseur, ses tapis roulants dressés vers le ciel et ses immenses cônes de sable et de gravillons. Cependant, il suffit d’emprunter le premier chemin dans la montagne pour sitôt croiser un homme ou une femme, parfois des enfants qui, à coup de marteau et à longueur de journée, cassent des cailloux pour produire du gravier. Là réside tout le paradoxe de ce cher pays. A Melamchi nous quittons le fond de la vallée et la « grande route » pour nous élever sur une piste étroite et ardue où fort heureusement nous ne croisons aucun véhicule. Il nous faut encore prendre notre mal en patience en se cramponnant fermement au siège avant que d’atteindre cinq cents mètres plus haut le plateau de Jyamire.

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Le décor n’a pas changé, c’est toujours les mêmes baraquements de tôle, les mêmes pans de maisons debout, plus menaçants, plus envahis encore par les mauvaises herbes. Le seul changement notable se situe sur l’emplacement de l’ancienne Maison des rêves. C’est maintenant un chantier, encombré de matériaux de construction, de tas de sable, de gravier et de pierre. Tout à côté, là où jadis se dressaient les murs de la maison, des trous profonds ont été creusés tandis que d’autres sont en cours de creusement. Au dessus, sur l’aire de battage, des bottes de fer à béton jonchent le sol. Un ouvrier est à l’œuvre qui tronçonne, rassemble puis cintre des cadres destinés au ferraillage des piliers. Un monticule de pièces, prêtes à être assembler, s’entasse au pied du chevalet de cintrage. Nous sommes accueillis les bras ouverts par Miss Smile, Mam et Uncle (l’oncle d’Azita en même temps que mari de Miss Smile et directeur de l’école de Jyamire). Tout juste avons nous le temps de déposer nos gros sacs dans le premier abri de tôle où je retrouve le lit que j’ai occupé l’an passé que déjà on nous sollicite pour aller à l’arrière dans le baraquement qui sert de cuisine manger le traditionnel dal bhat.[/ale_one_half_last][ale_one_half]

Le lendemain, aux premières lueurs du jour, un grand remue-ménage règne autour de notre abri et jusqu’à l’intérieur. Sans discrétion aucune, on s’interpelle, on rentre, on sort… Cette agitation finit par me sortir plus tôt qu’à mon habitude du lit. Il y a là devant la porte en grande discussion deux personnes qui me sont inconnus et Uncle. Ce petit monde s’agite autour d’un grand plateau en osier contenant des fleurs mais aussi de petits récipients avec du riz, des pommes, des bananes, des billets de banque… Un prélève une petite poignet de riz de tel récipient pour le déposer dans tel autre ou intervertit des fruits. Un autre conteste la quantité prélevé ou le bien-fondé de la chose. Le troisième rectifie le tir jusqu’à que tout le monde soit d’accord. Miss Smile fait de fréquents aller-retour à la cuisine. Elle en revient avec de petites coupelles d’huile, puis une carafe d’eau et que sais-je encore… des herbes ; oui des herbes, aux vertus certainement insoupçonnées. Puis la petite troupe se dirige vers le chantier, Uncle ouvre la marche en portant le plateau en bout de bras suivi des deux inconnus, brahmanes de leur état, dont un fait tinter, tout le long du parcours, une petite cloche. Le plateau est précautionneusement déposé sur le bord d’un puits de fondation. Après une ultime discussion autour de la répartition des contenus, Uncle descend dans le trou, non sans peine car profond d’un bon mètre cinquante. Un brahmane lui tend alors un récipient qu’il dépose sur le fond tandis que l’autre tout en faisant tinter la cloche psalmodie des incantations. Tous se recueillent. On jette des pétales d’œillet d’Inde dans le trou. Puis Uncle tente d’en sortir, ce qui donne lieu à une franche rigolade car rien n’a été prévu et la vaine tentative des brahmanes de le tirer de là a bien failli les envoyer au fond du trou. Ainsi chaque puits de fondation a droit au même cérémonial, des offrandes pour les divinités, des incantations pour éloigner les esprits maléfiques. La cérémonie achevée, les ouvriers reprennent possession du chantier. Quant à nous, un déjeuner nous attend, riz, pomme et banane, un repas digne de divinités indous.

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Chaque puits de fondation reçoit des offrandes pour les divinités.

A notre retour à Jyamire, après huit jours de trek dans les montagnes de l’Helambu, les travaux ont grandement avancé. Douze puits de fondation ont, non seulement été creusés, mais également coulés de béton, le ferraillage des piliers a été mis en place et les murs de fondation reliant le tout est en cours d’achèvement. Tout cela exécuté dans les règles de l’art. La jeune équipe de maçon possède un vrai savoir-faire et maitrise parfaitement ces techniques de construction pourtant toute nouvelle dans la région. C’est la première maison à être reconstruite à Jyamire. L’aide financière apportée par les donateurs français y est pour beaucoup si ce n’est pour l’essentiel. Dans les environs où toutes les maisons sont à terre, aucun signe avant-coureur ne laisse présager une reconstruction prochaine. Un tas de sable par ci, quelques fers à béton posés devant telle ruine, rien qui pourrait laisser croire à une réédification imminente. A cela, la raison essentielle est bien sûr d’ordre financière. Le coût exorbitant de ce type de construction en béton où tous les matériaux sont manufacturés et doivent être transportés sur place parfois de très loin, qui nécessite d’autre part une main d’œuvre spécialisée qui ne peut être suppléée par une main d’œuvre d’entre-aide locale, rend, pour la grande majorité des familles, la reconstruction inenvisageable. Sans aides massives de l’État népalais ou d’organisations internationales, ces habitants de l’Helambu sont condamnés à vivre pour de nombreuses années encore sous leurs abris de fortune. Ce qui ne peut que précipiter l’exode de ces petits agriculteurs des collines dont la difficile existence est employée toute entière aux travaux harassants des champs.

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En quittant Jyamire, nous avons droit aux chaleureuses étreintes de Uncle, Miss Smile et Mam. Uncle qui, en dehors de son travail d’instituteur, consacre son temps, bien souvent très tôt le matin et tard le soir, au suivi du chantier, l’approvisionnant en eau, installant une rallonge électrique, passant la nuit sur les routes avec son ami transporteur pour ramener des briques de Katmandou. Il nous fait part de sa lassitude de vivre sous ce tas de tôle et nous affirme dans un large sourire que la maison sera terminée dans six mois. Les prochains french tourists qui s’aventureront jusqu’à Jyamire, trouveront parmi les baraquements de tôle, un cube de béton à étage, poussé comme un champignon, certes pas très esthétique, pas de quoi en tout cas réaliser une photo de carte postale mais ne faut-il pas mieux au papier glacé préférer la chaleur des gens de la nouvelle Dreams House.

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